Thomas Biedinger

Thomas Biedinger

Avec la signature du traité de Lisbonne en 2007, la construction de l’Union Européenne a franchi une nouvelle étape décisive. De manière générale nous avons une perception erronée, ou du moins partielle, de ce que peut être l’Europe. La surenchère des médias par rapport à la crise migratoire et à la crise Grecque a permis aux eurosceptiques de gagner du terrain. Toutefois bien que la situation soit sans précédent, on est arrivé à un point où l’on a oublié pourquoi l’Europe a été fondée et quel est le projet qui avait été pensé.

Originellement, le modèle Européen a été façonné par des évènements historiques qui ont conduit à bâtir l’Union Européenne telle qu’on la connait aujourd’hui. Tout d’abord, en raison des circonstances et des conséquences de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été contrainte de recourir au Plan Marshall de 1947 afin de rebâtir les pays, notamment la France. Dans le plan de reconstruction de la France, le Général de Gaulle avait l’ambition de redonner au pays sa splendeur d’antan sur la scène internationale, grâce à l’arme nucléaire comme instrument de superpuissance, mais aussi de valoriser les atouts politiques par la voie diplomatique. Parallèlement, face aux traumatismes de la Grande Guerre, des visionnaires tels que Robert Schuman ou Jean Monet ont été les initiateurs de l’élaboration du projet d’une première communauté qui garantirait la stabilité politique et la paix perpétuelle. L’objectif était de consolider un groupe politique de pays dans le cadre de la réconciliation Franco-Allemande. Il s’agissait aussi d’un prolongement du Pacte Briand-Kellogg de 1929 interdisant le recours à la Guerre comme instrument de politique d’expansion nationale. Tout naturellement, la dimension européenne s’est également retrouvée dans le prolongement de la création de la Société des Nations en 1919 pour instituer la paix et la stabilité entre les pays membres. Cependant, face aux difficultés de compromis, la première formule était un consensus économique. En 1951, la création de la CECA a permis de consolider des accords de gestion dans la production de charbon et d’acier en Europe, le tout dans le but de favoriser la reconstruction des états membres.

Dans le contexte de la guerre froide, les tensions n’ont jamais été aussi importantes qu’avec la confrontation entre le bloc Est Soviétique et le bloc Ouest Américain. En 1949, le Conseil de l’Europe a été créé dans le but d’unir des États-Nations dans un objectif de paix perpétuelle et de stabilité. Les deux conditions sine qua non, encore valables aujourd’hui : être un état démocratique et respecter les droits de l’homme. Ainsi, le Conseil de l’Europe a été le catalyseur institutionnel qui a permis de véritablement conforter les bases de la paix et de la démocratie à travers la Charte des Droits de l’Homme. Cette période a également été marquée par une forte inflation des instruments juridiques de coopération intergouvernementaux qui a permis de renforcer les échanges entre les États en matière de coopération. À la chute du Mur de Berlin, en 1989, puis dans un contexte de délitement de l’économie de l’URSS, de nombreux pays satellites soviétiques ont souhaité accéder à l’indépendance étatique. C’est le début de la prolifération étatique de l’Europe de l’Est. Sous l’ex-URSS, les pays satellites étaient dépendants de l’autorité centrale de Moscou, qui imposait le régime soviétique, anéantissant tout espoir de jouissance de la souveraineté nationale, principal levier de développement étatique. Dans les années 1970, l’URSS commença à connaitre un délitement de son modèle économique face à la montée en puissance du capitalisme. C’est à ce moment-là que les pays satellites de l’URSS ont commencé à s’intéresser au modèle américain. D’une part, pour des raisons institutionnelles avec la possibilité de devenir indépendant grâce à la légitimité d’une gouvernance obtenue via le processus démocratique. D’autre part afin de bénéficier d’un soutien politique de l’Europe de l’Ouest et ce, à travers la construction Européenne qui leur permettrait d’accélérer leur développement économique en intégrant la logique du marché commun.

C’est typiquement le cas de l’ex-Yougoslavie, avec la lutte entre deux territoires ethniquement indépendants qui a conduit à une scission au prix d’un bain de sang. Ce sont ces évènements qui marquent à jamais l’histoire et qui constituent les fondements de l’Europe.
L’Europe a été construite sur ce contexte historico-culturel. L’histoire est pieuse et l’Europe a un devoir de mémoire à travers les droits de l’Homme, mais pas seulement. C’est aussi un ensemble de traités successifs destinés à garantir la protection des droits et des libertés à travers la démocratie. L’Europe est certes marquée par une démocratie excessive qualifiée par un marqueur identitaire fort, mais c’est la richesse de notre histoire qui nous permet de mieux comprendre l’Europe dans laquelle on est et surtout de ne jamais oublier qu’elle a toujours combattu la guerre et la tyrannie.

L’Europe est un vieux continent qui a une Histoire et qui préconise une société globale et pluriculturelle. Il ne suffit pas d’une réforme ou d’un courant de pensée pour résoudre une situation de crise. Il faut mettre en place un environnement propice de dialogue multilatéral pour développer un projet politique auquel les citoyens adhèrent. L’important est d’assurer un lien institutionnel pour accompagner et mettre en place les administrations nécessaires chargées de conduire les projets transnationaux. Dans cette perspective il faut réinventer le modèle européen en prenant en considération le facteur de la civilisation de l’Europe via un processus historico-culturel très fort qui a été déterminant dans la construction et l’aboutissement de l’Union Européenne. Au-delà des forces attractives économiques, la civilisation représente un enjeu central au cœur de la géopolitique et de la diplomatie. C’est la définition même de l’Etat qui est en jeu à travers la nation. Cette notion a été créée en 1500 par Jean Bodin et trouve sa consécration avec l’organisation des sociétés nationales. C’est une notion polysémique qui trouve son sens en fonction des spécificités des ensembles géographiques complexes. S’agit-il d’une unité linguistico-culturelle, selon l’approche Italienne ? Ou d’une approche ethnico-raciale selon l’approche Allemande du 19e siècle en référence à Theodor Mommsen ? D’une approche mystico-religieuse selon l’approche Russe, héritière des slavophiles et de Soloviev ? Ou encore du vouloir vivre ensemble selon l’approche française d’Ernest Renan ? À travers la notion d’état découle le concept de la nation. C’est une communauté d’individus faisant partie d’un même territoire, liés par une culture d’appartenance, par une délimitation des frontières, naturelles ou physiques, ou encore la religion, le tout dans le but de satisfaire des besoins sociaux. Fondamentalement, l’Etat est doté de trois éléments constitutifs : le peuple, le territoire et le pouvoir politique. L’histoire nous a montré que la création d’un état ne reposait pas uniquement sur des considérations institutionnelles. Il ne suffit pas d’instaurer la démocratie pour unifier un peuple. Il faut aussi prendre en compte les spécificités culturelles, politiques et ethnologiques. Cela implique aujourd’hui de se demander si on ne devrait pas modifier cette définition au bénéfice d’une organisation internationale et plurielle caractérisée par un statut de droit international consolidé par les éléments constitutifs de l’État : la population, le territoire et le peuple. Serait-on prêts à concéder la légitimité étatique au profit d’une légitimité supranationale ou communautaire ? L’Europe en est une illustration. C’est avant tout une organisation internationale caractérisée par la primauté du droit européen, dotée de dispositifs permettant aux États d’intégrer la construction européenne selon le principe de la progressivité et du transfert de compétences. On parle ici de la clause de flexibilité qui permet de déroger aux traités via les protocoles ou encore les périodes transitoires, au moyen d’un délai de transposition définit comme une période durant laquelle les états appliquent une directive européenne avec une obligation de résultat et une liberté de moyen dans l’application. Enfin, derrière la sophistication technique du droit européen, il y a l’enjeu de la gouvernance à travers la coopération intergouvernementale qui a permis à des pays, qui a priori s’opposaient tant par la culture que l’histoire, d’intégrer l’Europe par voie de consensus. Ce modèle n’est ni le meilleur ni le pire, mais il a fait ses preuves. Les élargissements successifs de l’Union Européenne ont démontré que les relations diplomatiques se sont complexifiées, voire étoffées et qu’il a été nécessaire d’adapter en permanence les instruments de gouvernance. Nous avons besoin d’établir un dialogue d’égal à égal pour rétablir la confiance et de créer une organisation multilatérale pour redéfinir les orientations stratégiques. Nous avons besoin de projet ambitieux et d’esprit d’initiative pour construire le 21e siècle. C’est ce que l’histoire nous enseigne depuis près de 60 ans.

Thomas Biedinger
Résident Teranga invité par Assane Ndiaye
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