—
Bienvenue à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar, Sénégal
6ème partie.
C’était un jour de 1993 à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar, au Sénégal. Jeune étudiant fraichement arrivé, je cherchais mes marques dans cet univers, bizarre. Une des premières difficultés auxquelles je faisais face était tout simplement de déterminer le périmètre de notre école. Les lieux ressemblaient plus à une vaste propriété en chantier qu’à une école. Il y avait pourtant des murs, des salles de classe, des tables, des chaises et même d’autres étudiants, tous aussi étranges les uns que les autres… et des filles aussi. Oui, des filles un peu bizarres sortaient de nulle part. Celle-ci avec sa coupe de cheveux garçon manqué, celle-là avec sa cigarette envoyant de la fumée partout, et puis celle qui avait une voix à rendre jaloux Renaud, Garou et Jacky Lagger, direct !
Ni les habitants ni les habitations ne m’inspiraient confiance. Cet endroit ne me donnait aucune envie de rester.
CEMT Maurice Delafosse, la classe!
Je venais du lycée technique Maurice Delafosse, anciennement CEMT1, qui se trouvait à environ quinze minutes à pied de l’École, dans le quartier de Gueule Tapée. Notre lycée, avec ses beaux bâtiments 2, était une vraie école qui donnait envie d’y passer du temps pour acquérir du savoir. Nous avions des infrastructures bien structurées avec des salles de gym, des terrains de sports et même des douches ! Le matériel dont nous disposions, notamment en salle de chimie ou de technologie, était d’une qualité digne d’un grand lycée technique. L’ambiance à Delafosse (« dans la fosse », pour les jaloux du lycée Blaise Diagne) était plutôt agréable. Nous avions aussi une bonne réputation d’élèves travailleurs et turbulents, qui débarquaient en masse au lycée des jeunes filles Kennedy, pour se faire des amiEEEs. 😉
En effet, avant de devenir un lycée (de 6e à terminale), les filles n’y étaient pas acceptées. Plus tard, elles l’ont été. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai partagé un bref cours de langue avec notre star internationale Coumba Gawlo Seck, qui avait déjà un caractère fort. Elle s’est présentée en cours parée d’un beau chapeau, ce que les professeurs n’apprécièrent pas du tout. Le fait de me retrouver donc dans cette étrange École Nationale des Beaux-Arts, au Point E – quartier pourtant chic de Dakar – remettait en cause mon choix et mes grands vœux de devenir, un jour, un artiste diplômé.
Je n’aimais pas cet endroit.
L’État du Sénégal avait mis cet endroit à disposition pour la formation de ses futurs diplômés des arts, et donc de la culture.
Les futurs ambassadeurs culturels du valeureux peuple sénégalais devaient sans doute apprendre à se faire tout petits pour ne pas faire de bruit, une fois le diplôme en poche (ou pas).
Ah ! La culture… confinée et masquée, bien avant 2020 !
Revenons à ce jour-là de mes débuts à l’École. Je me trouvais dans une de ces grandes salles où, selon les jours, les saisons ou les humeurs des professeurs et des étudiants, le vide remplissait tout l’espace. Je ne me souviens plus sur quoi je travaillais, quand un grand garçon, « clean », le teint très foncé, des yeux tout blancs, habillé comme Monsieur tout le monde, pénétra dans la salle. Il s’est d’abord arrêté au seuil de la porte d’entrée. Comme son grand corps projetait son ombre dans la salle, j’ai levé la tête vers Momar Seck. Il a balayé la salle de son regard et m’a salué. Je l’avais déjà repéré dans les lieux, mais je pensais qu’il était juste de passage. Il paraissait trop « propre » pour appartenir à notre zoo !
Nous avons discuté un peu et il est reparti à la quête d’une salle pour travailler ou que sais-je, je ne m’en souviens plus vraiment.
La révélation
Eh bien ! Qui l’aurait cru ? Oui, il existait bien des artistes normaux. Des artistes propres sur eux, ne portant pas leur art sur la tête ou le front, par leur apparence, partout où ils apparaissaient. C’est ce genre d’artiste que je voulais être.
Parmi d’autres événements, faits, rencontres et expériences, ce moment avec Grand Momar joua un rôle déterminant dans mes efforts d’intégration à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar. Momar était en route pour son diplôme de professeur d’éducation artistique à l’ENA (École Nationale des Arts). Il était en fin d’année d’études et allait nous quitter cette même année 1993, alors que mes camarades et moi commencions notre première année d’études à l’École Nationale des Beaux-Arts (ENBA), après avoir réussi le concours d’entrée.
Quelques années plus tard, en 1999, alors que je venais d’arriver en Suisse, dans la belle ville de Lausanne, il a accepté de me recevoir à Genève. Ses conseils et surtout cette sorte de tranquillité qu’il porte en lui m’ont inspiré confiance et espoir dans mon intégration en Suisse (et de deux). Je le voyais se « battre » calmement à la recherche d’une place de parc pour sa grosse 4×4 de l’époque, dans le quartier de Carouge à Genève. Il ne voulait pas me faire attendre pour cette première rencontre depuis Dakar.
Madame Nelly L’Eplattenier
En 2005, j’ai eu beaucoup de plaisir à le voir au milieu des invités lors du vernissage de mon exposition « Ouverture et enracinement » à la galerie Nelly L’Eplattenier. Je salue la mémoire de Madame Nelly L’Eplattenier en passant, une dame incroyable, pleine d’humanité, de beauté et de style. Je m’arrêtais toujours quand je passais au Flon (quartier artistique à l’époque) pour la retrouver dans son bureau au fond de la galerie. Elle me parlait de son père, de sa famille de La Chaux-de-Fonds et des artistes qu’elle exposait. Elle m’avait aussi exposé, lors d’un accrochage d’artistes de la galerie, dans l’espace souterraine de son magnifique « château » à La Chaux. C’est dans sa galerie à Lausanne que j’ai rencontré mon cher Harve Boon, terrible artiste lausannois qui fait « Boom ! » avec toutes sortes d’instruments musicaux qu’il fabrique lui-même. Nelly m’a fait connaître et rencontrer des gens bien, des gens bons, au-delà de la région. Elle m’a parlé aussi de Momar, « ce grand monsieur noir comme toi », disait-elle avec un petit sourire taquin.
Elle poursuivait « Oui, il est du même pays que toi… peut-être que je le montrerai prochainement… ». Et moi de lui répondre, « Je vais être tout content de ne pas aller jusque chez les Genevois pour voir le beau travail de mon frère sénégalais » et on éclatait de rire tous les deux.
Sacrée Nelly !
Tu me manques. Ton sourire malicieux me manque.
Repose en paix.
Momar, pour revenir à nos chameaux, (lui seul comprendra) nous a reçu en 2019 à l’École Internationale de Genève où il enseigne. Il nous a laissé le message vidéo que vous avez écouté. Merci encore de la part de toute la famille SaDunya.
Revenons à l’École des Beaux-Arts de Dakar
Pour beaucoup de mes camarades étudiants comme pour moi-même, cette école nous a donné plus que ce dont nous avions besoin. Les professeurs, les étudiants, les lieux… tout, absolument tout, nous a formé à être les artistes et ambassadeurs culturels que nous sommes devenus.
Je suis toujours impressionné et admiratif devant la production de notre incroyable école… Momar Seck, Ousmane Dia, Ndoye Douts, Mamady Seydi, Omar Ba, Cool Dia Bang, Eric Pina, Birame Gueye, Amadou Camara Gueye, Fatou Mbengue, Tanor Tita Mbaye, Habby Diallo, Pape Teigne Diouf, Rakcy Diankha, Solly Cissé (celui-là… c’est un ovni !)… et j’en oublie certainement.
Ces noms n’évoquent peut-être pas grand-chose chez vous. Mais comprenez-le bien : vous avez là un bataillon de grands esprits et de fortes têtes d’une créativité et d’une sympathie incroyables !
Allez voir ce qu’ils font. Approchez-les, apprenez d’eux, ils ont de quoi transformer le monde en mieux… beaucoup mieux !
Ouf ! J’ai fini.
PS : L’École m’a aussi permis de comprendre pourquoi mon petit frère m’avait surnommé « Fantomas ». Quel enfoiré, le frangin !
Pardon à ma famille et à mes amis qui n’étaient pas prêts à vivre avec un artiste diplômé (ou pas).
PPS : Quand notre Grand Momar appelle à la solidarité en donnant l’exemple, nous, les artistes, répondons présents.
Merci grand frère.
1 Centre d’Études Moyennes Techniques – vs – Collège d’Enseignement Moyen Technique ?
Merci à mes amis et anciens camarades de classe, Ndao et Thiam, qui m’ont fourni ces deux différentes significations. Boys, on est plus au CEMT, donc pas de bagarres svp. « Diadieuf way » !
En espérant que notre cher professeur Sidiki Abdoul Daff nous mettra tous d’accord sur la signification de ce sigle.
2 J’avais même dessiné le bâtiment principal, tellement je le trouvais beau et bien conçu.
Un projet réalisé avec le soutien de Dr Momar Seck
Association Diapalanté
Construction de salles de classes
Légende galerie photos :
Les sept salles qui constituent actuellement le CEM (Collège d’Enseignement Moyen) de Moudaye Sérére à Bargny au Sénégal.
Ce projet a pour objectif de remplacer les salles de classe provisoires par une construction en dur.
Projet réalisé en 2021 par Dr Momar Seck et l’Association Diapalanté « Helping hands » de Bargny
La notion de solidarité et unité constitue un prolongement de mes préoccupations artistiques.
Dr Momar Seck